- Le confinement particulièrement strict auquel ont été soumis les Espagnols au printemps 2020 s’est accompagné de surprises parfois fort inattendues. Les bureaux de tabac, considérés comme des commerces de première nécessité, avaient alors été autorisés à poursuivre leurs activités et certains en ont profité pour se diversifier. C’est ainsi que les vitrines de plusieurs d’entre eux se sont garnies de fleurs CBD.
- La législation espagnole aurait-elle évolué pour que de tels produits soient ainsi vendus dans ce type d’établissements ? Un changement législatif d’une telle ampleur aurait-il pu échapper à l’ensemble des acteurs du monde cannabique ? Voici les réponses.
Le 15 mars 2020, le Gouvernement espagnol décrétait l'état d'urgence et le confinement particulièrement strict de sa population, dans le but d'endiguer la propagation du coronavirus. Cette période singulière a été le théâtre d'un événement particulièrement inattendu qui en a surpris plus d'un : les bureaux et débits de tabac ont commencé à vendre des fleurs CBD. Jamais auparavant ces commerces n'avaient vendu ce type de produits. Mais le confinement ayant affecté tous les aspects de notre société, pourquoi n'aurait-il pas impacté également la manière dont nous nous fournissons en CBD ? Les photos ci-dessous proviennent de produits que nous avons nous-mêmes achetés à San Sebastian (Pays Basque) durant le confinement. Parfois, ces nouveaux produits étaient fièrement présentés en vitrine des bureaux de tabac, comme le montre la photo ci-contre, prise par notre collaboratrice Kushka dans les rues de Barcelone.
La tête pleine de questionnements, désireux de comprendre pourquoi ces produits étaient soudainement acceptés à la vente de ce type d'établissements, nous avons décidé de mener l'enquête. Nous avons alors réalisé avec déception qu'aucun changement législatif majeur n'était à signaler. Mais nous avons malgré tout désiré partager avec vous nos découvertes. Ainsi, vous aussi connaitrez la législation en vigueur en Espagne et, lors d'un prochain voyage au pays des tapas, vous saurez à quoi vous en tenir.
Dans un premier temps, nous nous sommes rendus dans les bureaux de tabac eux-mêmes. Les gérants y ont défendu leur position arguant que les fleurs vendues ne devaient pas être assimilées à du cannabis car elles ne font pas planer. Selon eux, il convient de distinguer nettement le cannabis tel qu'on l'entend habituellement du cannabis thérapeutique consommé par certains patients en souffrance cherchant à apaiser des douleurs insupportables ou par des fumeurs désireux de se relaxer. Selon eux, le CBD n'est pas une drogue.
Peu convaincus par ces arguments qui, d'un point de vue juridique, nous paraissaient quelque peu bancals, nous avons décidé de consulter de véritables experts qui pourraient nous donner des renseignements plus précis. Nous nous sommes donc mis en contact avec Iker Val, activiste cannabique et fondateur de la Fondation Renovatio. Voici, en substance, son opinion : « la vente de chanvre en débits de tabac présente beaucoup de similarités avec la situation des Cannabis Social Clubs : certains font bouger les choses, ce qui ne signifie en rien qu'ils agissent dans la légalité et respectent les règles auxquelles est soumis le commerce du produit dont il est ici question. »
Comment la législation espagnole encadre la vente de fleurs CBD dans les bureaux de tabac ?
Laissons de côté la question de la production de ces fleurs de chanvre et concentrons-nous ici sur leur seul commerce. Voici donc le cadre légal relatif à la vente de fleurs CBD par les bureaux de tabac en Espagne. Les produits vendus dans ces établissements sont classés en plusieurs catégories. Nous supposons que les fleurs CBD entrent dans la catégorie des « nouveaux produits du tabac et tabacs à usage oral » ou dans celle des « produits à base d'herbe destinés à être fumés ». Qu'il entre dans l'une ou l'autre de ces catégories, tout produit CBD vendu dans un bureau de tabac espagnol doit avoir préalablement reçu une autorisation spécifique de la Commission pour le Marché du Tabac (Comisionado del Tabaco en España). Cet organisme s'est prononcé sur cette question en juin dernier. Selon un communiqué publié le 24 juin par l'Union des Buralistes Espagnols (Unión de Asociaciones de Estanqueros de España), la Commission avait alors envoyé un courrier à tous les bureaux de tabac du pays pour leur signifier que l'interdiction de la vente de produits CBD demeurait en vigueur. Les buralistes qui vendent des fleurs CBD sont donc dans l'illégalité.
Au-delà de ce communiqué, voyons quels critères légaux devraient (ou plutôt auraient dû) remplir les fleurs de cannabis pour obtenir une autorisation de vente dans les bureaux de tabac.
Si nous considérons le CBD comme un « nouveau produit du tabac », quelles seraient les démarches nécessaires pour que sa vente soit autorisée dans les débits de tabac ?
Selon l'Article 23 du Décret Royal 579/2017 du 9 juin relatif à certains aspects de la fabrication, présentation et commercialisation des produits du tabac et produits qui y sont liés, tout nouveau produit du tabac doit se conformer à la réglementation suivante :
- Les fabricants ou importateurs qui désirent commercialiser un nouveau produit du tabac devront communiquer à la Direction Générale de la Santé Publique, de la Qualité et de l'Innovation [Dirección General de Salud Pública, Calidad e Innovación], à travers du portail UE-CEG, et suivant le format établi par la Décision 2015/2186 de la Commission Européenne, en date du 25 novembre 2015, les informations suivantes :
- Une description détaillée du nouveau produit du tabac en question.
- Une description des instructions d'utilisation.
- Les informations relatives aux ingrédients et aux émissions envisagés à l'Article 6. - À la communication susnommée devront être annexés les documents suivants :
- Les études scientifiques disponibles relatives à la toxicité, le potentiel d'addiction et la capacité d'attraction du nouveau produit du tabac, en particulier concernant ses ingrédients et ses émissions.
- Les études disponibles, ainsi que les abstracts de celles-ci, et les études de marché relatives aux préférences des divers groupes de consommateurs, y inclus les jeunes.
- Tout autre information pertinente disponible, incluant les analyses coûts-bénéfices du produit, ses effets attendus sur le renoncement au tabagisme et ses effets attendus sur l'usage initial du tabac, de même que les effets sur la perception du produit par les consommateurs attendus. - La communication visée aux articles antérieurs sera faite six mois avant la date de commercialisation prévue du produit.
- De la même manière sera communiquée toute modification des informations visées aux articles antérieurs.
- La Direction Générale de la Santé Publique, de la Qualité et de l'Innovation s'assurera que la documentation fournie est conforme aux Articles 1 et 2, réclamant, le cas échéant, toute donnée manquante jusqu'à la complétion du dossier. Sur demande motivée, elle pourra aussi réclamer aux fabricants ou importateurs, la réalisation d'études supplémentaires ou la présentation d'informations complémentaires.
Si nous considérons le CBD comme un « produit à base d'herbe destiné à être fumé », quelles seraient les démarches nécessaires pour que sa vente soit autorisée dans les débits de tabac ?
Selon l'Article 37 du Décret Royal 579/2017 du 9 juin relatif à certains aspects de la fabrication, présentation et commercialisation des produits du tabac et produits qui y sont liés, tout produit à base d'herbe destiné à être fumé doit se conformer à la réglementation suivante :
- Les fabricants ou importateurs de produits à base d'herbe destinés à être fumés devront communiquer à la Direction Générale de la Santé Publique, de la Qualité et de l'Innovation, à travers du portail UE-CEG, et suivant le format établi par la Décision 2015/2186 de la Commission Européenne, en date du 25 novembre 2015, les informations suivantes :
- La liste de tous les ingrédients utilisés dans le cadre de la fabrication des produits en question, classés par marque et type.
- Les quantités respectives desdits ingrédients. - De plus, les fabricants ou importateurs de produits à base d'herbe destinés à être fumés devront présenter à la Direction Générale de la Santé Publique, de la Qualité et de l'Innovation, avant commercialisation, l'emballage et l'étiquetage pour chaque marque et type de produits, afin de vérifier qu'ils remplissent les critères visés à l'Article 39.
- La Direction Générale de la Santé Publique, de la Qualité et de l'Innovation s'assurera que la documentation fournie est conforme aux articles antérieurs, réclamant, le cas échéant, toute donnée manquante jusqu'à la complétion du dossier.
Quel cadre légal pour la vente de fleurs CBD en Espagne ?
Indépendamment des débits de tabac, les sites internet proposant des fleurs CBD sont légion. Pourtant, la production et le commerce des fleurs de cannabis étant régis par des conventions internationales, leur culture et leur vente en Espagne doivent recevoir l'approbation préalable de l'Agence Espagnole du Médicament et des Produits Sanitaires (Agencia Española de Medicamentos y Productos Sanitarios), même si les fleurs en question sont dotées de taux de THC inférieurs à 0,2 %. Pour le moment, l'Agence n'a autorisé que quelques rares entreprises à produire ce type de fleurs à des fins thérapeutiques ou scientifiques. Les entreprises désireuses de commercialiser des fleurs qui seraient destinées à l'alimentation (huiles CBD, par exemple) devraient, en outre, recevoir l'approbation de l'Agence Espagnole pour la Sécurité Alimentaire (Agencia Española de Seguridad Alimentaria y Nutrición). À l'heure actuelle, outre les quelques entreprises ayant obtenu des autorisations de production de fleurs pour des usages thérapeutiques et scientifiques, la culture de chanvre n'est autorisée que pour l'obtention de fibres de chanvre ou des graines.
Ces restrictions quant aux usages du chanvre produit expliquent l'insignifiance de la culture de cette plante en Espagne : en 2020, moins de 1.000 hectares (entre 500 et 600) de culture sont consacrés au chanvre. Ce chiffre est encore plus parlant comparé à la situation dans d'autres pays européens. En France, par exemple, quelques 15.000 hectares sont dédiés à la culture de cette plante. L'Espagne produit donc près de 30 fois moins de chanvre que sa voisine. Mais cette vision pessimiste doit être nuancée. En effet, en 2018, l'Espagne ne consacrait que 100 ha de son territoire à la culture du chanvre. Les choses évoluent donc dans le bon sens, qui plus est, à une vitesse assez soutenue.
Selon l'activiste et grand connaisseur du domaine Iker Val, « les restrictions mises à l'usage du chanvre, mêlées à la forte demande européenne de cannabis light, ont engendré cette explosion de la culture industrielle du chanvre, alors même que toute cette activité n'est pas destinée à la production de fibres, mais bien à l'obtention de fleurs aux niveaux de THC inférieurs à 0,2 % ou d'une biomasse destinée à l'extraction de principes actifs ».
« En résumé, conclut-il, des contradictions qui n'ont rien de bien neuf dans le monde du cannabis espagnol. D'un côté, un aspect commercial important avec des bureaux de tabac qui normalisent le produit et des plateformes en ligne qui le proposent déjà depuis longtemps ; et d'un autre côté, un aspect juridique quelque peu flou qui maintient tous ces acteurs commerciaux dans une illégalité relative. Ce flou juridique devrait être éclairci mais ma longue expérience du secteur me fait plutôt dire que les choses vont demeurer en l'état encore longtemps sans que le gouvernement ne s'attaque vraiment à la question. »
Commentaires de nos lecteurs
Il n’y a pour l’instant aucun commentaire. Vous voulez être le premier ?
Laissez un commentaire !Vous avez aimé ce post ?
Votre expérience avec nos graines est très importante pour nous, et peut aider d'autres usagers (votre adresse e-mail ne sera pas publiée).