- Le 20 septembre dernier, nous avons eu la chance d’assister à la présentation officielle de l’Observatoire Espagnol du Cannabis Médical, une entité qui prétend ouvrir, en Espagne, le chemin vers un modèle de cannabis thérapeutique tout en faisant la promotion de la recherche et de la mise en application de cette médecine particulière.
- Au cours de la présentation de ce projet, qui s’est tenue au Caixa Fórum de Madrid, nous avons pu assister à différents exposés proposés par des scientifiques et chercheurs en la matière, dont Manuel Guzmán, professeur en Biochimie et Biologie Moléculaire à l’Université Complutense de Madrid et membre de l’Académie Royale espagnole de Pharmacie, lequel a proposé une brève introduction aux cannabinoïdes.
Les cannabinoïdes sont des substances présentes dans la composition du Cannabis Sativa qui, grâce à leurs propriétés, sont susceptibles d'être utilisées dans le domaine médical. Pour comprendre pourquoi le cannabis est efficace dans le traitement de plusieurs maladies et comment il agit sur notre organisme, il est important de connaître les mécanismes et les acteurs engagés dans ces processus.
Manuel Guzmán, qui fait partie de l'équipe de l'Observatoire Espagnol du Cannabis Médical, a souhaité, au cours de son exposé, souligner l'importance de l'identification des principaux principes actifs du cannabis, dont le THC, une substance que l'on connaît depuis plusieurs décennies, grâce aux études de Raphael Mechoulam.
Bien plus que le THC
S'il est le plus connu, le THC n'est pas le seul principe actif de la plante de cannabis : plus de cent autres cannabinoïdes l'accompagnent, en plus d'autres éléments comme les terpènes ou les flavonoïdes. Comme l'a expliqué M. Guzmán, et bien que l'on ignore encore la pharmacologie de nombre d'entre eux, il faut s'arrêter sur le deuxième acteur bioactif le plus important de la plante, l'écuyer de luxe du THC au niveau moléculaire : le cannabidiol, autrement appelé CBD.
Si l'on observe la formule moléculaire du cannabidiol et qu'on la compare à celle du THC, on pourra constater que la ressemblance est extraordinaire. Cependant, bien que semblables, les deux formules ne sont pas identiques, et ce sont ces petites disparités qui rendent les effets de chaque substance si différents.
En ce sens, Manuel Guzmán a fait une brève présentation des propriétés thérapeutiques du CBD, un cannabinoïde actuellement en vogue, et qui offrent les effets bénéfiques suivants en termes de santé :
- Possède des propriétés anti-inflammatoires
- Possède aussi des propriétés anticonvulsives
- Est un neuroprotecteur puissant
- Aide à lutter contre la spasticité, il est donc particulièrement recommandé pour les personnes qui souffrent de sclérose en plaques.
- Est antiémétique, c'est-à-dire qu'il aide à combattre les nausées, une propriété particulièrement utile aux personnes sous chimiothérapies.
Le CBD améliore aussi la tolérance au THC, puisqu'il empêche certains des effets secondaires indésirables de ce dernier, comme la sécheresse buccale, la tachycardie et surtout, la psychoactivité, particulièrement important donc, lorsque l'on parle de son utilisation thérapeutique. Voilà pourquoi dans certaines thérapies à base de cannabis thérapeutique, on recommande l'administration du THC avec le CBD.
Comment les cannabinoïdes interagissent-ils avec notre organisme ?
Comme l'a expliqué Manuel Guzmán, le travail séminal de Raphael Mechoulam dans les années 60 pour élucider la composition chimique du cannabis a été essentiel pour fonder les piliers de la recherche sur cette plante, non seulement dans le domaine pharmacologique, mais aussi pour concevoir des dérivés de cannabinoïdes ayant permis de connaître son mécanisme d'action.
Environ 30 ans après que R. Mechoulam et son équipe aient caractérisé ces composés, un changement de paradigme s'est produit, concernant la vision de comment ces substances agissent sur notre organisme. La découverte du système endocannabinoïdien dans les années 90 a révélé l'existence, chez certaines de nos cellules (par exemple, les neurones) de molécules liant tout particulièrement les cannabinoïdes à notre système.
Les cannabinoïdes, à l'instar des principes actifs de tout autre médicament, n'interviennent pas par magie, mais en s'unissant à ces molécules qui les reconnaissent et les reçoivent dans l'organisme : les récepteurs. Dans le cas présent, il s'agit des récepteurs de cannabinoïdes, des molécules situées à la surface de nos cellules (par exemple, des neurones du système nerveux central), capables de reconnaître spécifiquement les composants du cannabis, par exemple, le THC de la plante. C'est la raison pour laquelle le cannabinoïde en question, lorsqu'il est reçu par ce récepteur qui l'identifie, s'unit à une cellule particulièrement spécifique.
Pour mieux comprendre ce processus, nous pourrons utiliser la métaphore de la clé et du cadenas. Le cannabinoïde (ou la clé), s'unit exclusivement et précisément à son cadenas moléculaire (le récepteur). Pour ce faire, seules les cellules disposant de ces cadenas vont être sensibles au cannabinoïde et l'union qui provoquera une réponse cellulaire sera le fruit de cette concordance : en fonction du signal reçu, la cellule modifiera ou inhibera son activité.
À la découverte du système endocannabinoïdien
Il existe deux types de « cadenas » dans notre organisme, les récepteurs CB1, qui s'expriment surtout dans le système nerveux et les récepteurs CB2, liés au système immunitaire et qui, par conséquent, gèrent les effets anti-inflammatoires.
Avant de découvrir que le corps humain en soi générait des cannabinoïdes, le fait que les cannabinoïdes étaient uniquement produits par une seule plante parmi les 300 000 qui composent le règne végétal ressemblait à un caprice de la nature. La question qui a évidemment surgi à partir de la découverte de ces récepteurs ne fut autre que : « Pourquoi ces récepteurs existent-ils dans notre organisme ? ». L'hypothèse initiale est partie de la probabilité selon laquelle ces récepteurs devaient être situés dans nos cellules pour unir des particules très chimiquement semblables aux cannabinoïdes, des molécules produites par les êtres vivants et qui s'unissent à ces récepteurs en modulant l'activité de certains circuits neuronaux.
Cette hypothèse, sur laquelle s'est basée l'équipe de Raphael Mechoulam, a donné lieu à la découverte des cannabinoïdes endogènes ou endocannabinoïde, qui sont des molécules similaires aux phytocannabinoïdes (celles produites par la plante) produits par le cerveau de tous les animaux vertébrés. Par conséquent, les cannabinoïdes agissent sur notre organisme, car ils imitent l'action de ces endocannabinoïde produits par notre organisme pour contrôler différents processus.
Quels sont ces processus et quelle importance ont-ils sur notre organisme ?
Comme nous l'avons déjà évoqué précédemment, les cannabinoïdes affectent différentes fonctions ou processus de notre système par l'union avec les récepteurs CB1 et CB2. Pour illustrer plus clairement ces processus, Guzmán a exposé les réactions provoquées par le THC dans notre système et leur raison :
- Affectation de l'activité et coordination motrice : se produit lorsque le THC s'unit aux récepteurs cannabinoïdes situés dans les zones cérébrales impliquées dans ces fonctions, comme les ganglions de la base.
- Augmentation de l'appétit : se produit par l'union du THC aux récepteurs situés dans l'hypothalamus.
- Affectation des processus cognitifs : plusieurs études signalent que le THC affecte les processus cognitifs, par exemple la mémoire, par l'interaction avec les récepteurs situés dans le cortex de l'hypothalamus.
- Inhibition des nausées : se produit par l'interaction du THC avec des récepteurs cannabinoïdes situés au centre de notre système nerveux central et impliqués dans l'inhibition du vomi.
M. Guzmán a tracé un schéma qui nous aide à comprendre comment les cannabinoïdes affectent notre organisme. À partir des études de Raphael Mechoulam, et au cours de ces 50 dernières années, on a pu développer un cadre conceptuel basic pour au moins comprendre pourquoi les cannabinoïdes de la plante agissent sur certains processus de l'organisme et pas sur d'autres et à partir de là, pouvoir aborder avec plus de connaissance la conception de thérapies avec des cannabinoïdes capables d'améliorer la qualité de vie de nombreux patients.
Quels bienfaits thérapeutiques l'interaction des cannabinoïdes apporte-t-elle ?
Manuel Guzmán a signalé que le terme « thérapeutique » n'impliquait pas qu'une substance soit bonne ou mauvaise, ceci dépendant de chaque cas concret. Par exemple il n'est pas nécessaire, pour un athlète devant courir un 400 mètres, de diminuer sa capacité motrice en consommant du cannabis. Inversement, si une personne a un défaut hyperkinétique, par exemple, l'activation involontaire de son système moteur, comme cela arrive dans certaines maladies neurodégénératives qui produisent des spasmes involontaires, il serait bien évidemment intéressant de réduire l'activité motrice dans ces cas.
Les cannabinoïdes comme médicaments
Plusieurs études ont démontré que les cannabinoïdes peuvent être un élément important pour le champ médical, grâce à leurs multiples propriétés, très utiles dans le traitement de certaines maladies. Nous énumérons brièvement les propriétés les plus notables de certains cannabinoïdes, ci-dessous :
- Analgésiques : très important dans le cadre de douleurs chroniques et de douleurs neuropathiques.
- Anti-spasticité : très utile dans le traitement de troubles associés à des maladies neurodégénératives comme la sclérose en plaques.
- Anti-vomitives : utile pour pallier les effets secondaires de la chimiothérapie.
- Anti-convulsives : très efficace dans certains cas d'épilepsie, comme le syndrome de Dravet.
- Neuroprotectrices : efficaces dans le traitement de maladies neurodégénératives comme Alzheimer.
Une fois qu'il a été prouvé que les cannabinoïdes possèdent des propriétés applicables dans le domaine de la médecine, la question suivante devrait être : « est-il faisable d'utiliser les cannabinoïdes comme des médicaments ? ». Comme le remarque M. Guzmán, il existe une série de paramètres qui définissent en quoi un médicament est sûr et efficace. Avec les cannabinoïdes, comme avec n'importe quel autre médicament, nous devons chercher ce que l'on appelle « l'équilibre thérapeutique », c'est à dire, se centrer non seulement sur leurs effets thérapeutiques, mais aussi évaluer les effets adverses.
La bonne nouvelle, c'est que tout porte à croire que l'un des avantages des cannabinoïdes c'est qu'ils ne provoquent pas d'effets adverses graves. Plusieurs études scientifiques ont démontré que le métabolisme des cannabinoïdes est lent, puisque ces substances tardent à pénétrer et à se propager dans notre organisme et qu'elles y restent plusieurs jours. Même s'ils sont relativement inoffensifs et qu'ils peuvent engendrer des effets secondaires comme l'affectation des processus cognitifs, les cannabinoïdes sont des composés sans toxicité aiguë, car les récepteurs ne sont pas situés dans les centres qui contrôlent principalement la contraction du diaphragme ou la contraction cardiaque : il n'y a donc pas de risque d'arrêt cardiorespiratoire ou d'altérations des paramètres vitaux de base.
Le seul point négatif des traitements qui utilisent le THC est que ce dernier comporte un effet psychoactif qui, s'il peut avoir un intérêt ludique pour certaines personnes, peut se révéler problématique pour un patient ayant besoin de prendre du cannabis thérapeutique quotidiennement et sur une période prolongée.
Évaluation de l'équilibre thérapeutique des cannabinoïdes
Au cours de son exposé, Manuel Guzmán a affirmé que les cannabinoïdes peuvent être des médicaments, au moins palliatifs pour certaines maladies et que de nos jours, de nombreux patients peuvent jouir de leurs propriétés.
Il s'agit d'utiliser le cannabis en l'adaptant aux besoins spécifiques de chaque patient
Le scientifique a ajouté que, si en termes d'efficacité, il existe de nombreux médicaments de la médecine traditionnelle qui fonctionnent mieux pour certains troubles ou certaines maladies que les cannabinoïdes, il est nécessaire de se demander si les effets de ces médicaments compensent réellement. Les benzodiazépines, par exemple, sont plus efficaces s'il s'agit de réduire les troubles de l'anxiété par rapport à certains cannabinoïdes comme le CBD, mais ses effets secondaires à long terme sont bien plus agressifs que ceux de cette substance.
M. Guzmán assure qu'il s'agit-là d'une réalité et que les cannabinoïdes devraient par conséquent se faire une place : « Il s'agit d'utiliser le cannabis en l'adaptant aux besoins spécifiques de chaque patient, que ce soit en tant que médicament alternatif ou en complément de traitement. En ce sens, nous devons tenir compte du fait que l'équilibre thérapeutique des cannabinoïdes est très bon, leur efficacité peut être modérée, mais leurs effets secondaires sont parfaitement tolérables, bien plus que dans d'autres thérapies ».
Comme l'affirme le professeur, les cannabinoïdes pourraient représenter une excellente alternative en tant que thérapie de substitution dans certains cas où le patient ne tolère pas le traitement médicamenteux standard, lorsqu'il ne répond pas convenablement aux effets du médicament ou lorsqu'une consommation prolongée a développé une trop grande accoutumance.
C'est ce que nous appellerions une « thérapie combinée », la façon dont les cannabinoïdes peuvent complémenter l'action d'autres médicaments déjà connus aujourd'hui.
M. Guzmán a affirmé que de nos jours, les patients tirant le plus profit de l'usage thérapeutique des cannabinoïdes sont ceux dont la maladie avait grandement détérioré la qualité de vie : des personnes atteintes de maladies chroniques et/ou dégénératives.
Tout porte à croire que la clé du problème réside dans l'élargissement des connaissances sur les différents composés de la plante de cannabis, pour son optimisation thérapeutique. En dépit du fait qu'en Espagne, ce processus semble avancer très lentement, plusieurs organisations comme l'Observatoire Espagnol du Cannabis Médical et des professionnels comme Manuel Guzmán font leur possible pour qu'à l'avenir, le système de santé espagnol et des milliers de patients puissent profiter des bienfaits thérapeutiques du cannabis.
Comment prescrire/consommer les cannabinoïdes
Comme l'a fait remarquer M. Guzmán, les principes actifs du cannabis peuvent être obtenus à partir de la plante elle-même, ainsi que de ses dérivés (huiles, extraits), qui sont des sources importantes de cannabinoïdes. Les cannabinoïdes ont une très faible capacité de dissolution en dissolvants aqueux et une grande capacité à se dissoudre de manière organique ou graisseuse, raison pour laquelle ils sont souvent présentés sous forme d'huiles.
D'autre part, actuellement, il existe déjà sur le marché certains médicaments ayant été approuvés par différentes agences régulatrices, et qui contiennent des extraits plus ou moins bruts de la plante, ou des cannabinoïdes de synthèse :
- Sativex
- Composés purs : capsules de THC
- Cesamet : dérivé synthétique du THC
- Epidiolex : une préparation de CBD
- Marinol : THC de synthèse
Pour M. Guzmán, la question suivante concerne l'efficacité des mélanges de composés par rapport à l'utilisation de composés purs. En général, la tolérance est actuellement plutôt meilleure, et dans de nombreux cas, l'effet thérapeutique également, lorsque l'on combine différents cannabinoïdes aux effets complémentaires. Et même, dans certains cas, certains cannabinoïdes, comme c'est le cas du CBD, peuvent atténuer certains effets indésirables d'autres cannabinoïdes comme le THC.
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