- Le Mexique a joué un rôle de premier plan dans la diffusion mondiale du cannabis.
- Mais l’histoire cannabique mexicaine va bien au-delà des seules questions de drogues et de trafics. S’y mêlent des considérations sociales, diplomatiques, économiques…
- Une histoire dont le protagoniste principal n’est pas le Mexique, mais son voisin du Nord, dont la population est autant consommatrice de cannabis que les décideurs politiques sont impérialistes et puritains.
Les origines. L'arrivée du cannabis au Mexique
On s'imagine souvent le cannabis présent au Mexique depuis la nuit des temps. Mais c'est en Asie, dans l'Himalaya, qu'est née cette plante appelée à rapidement se répandre à travers le monde. Et, contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce furent les Européens qui introduisirent le cannabis au Mexique.
Il y a plus de 1000 ans, les Musulmans s'étaient implantés en Espagne, y introduisant la culture du cannabis qui s'y répandit rapidement. Même la Reconquista et l'Inquisition ne parvinrent à mettre un terme à l'usage de cette plante utilisée tant pour la production textile que pour ses vertus médicinales. Elle était alors si répandue que, sans surprise, on en trouvait dans les cales des caravelles qui menèrent les conquistadors espagnols jusqu'au Mexique au début du XVIe siècle. Ils désiraient alors développer la production de textiles de cannabis en Nouvelle-Espagne.
C'est Hernán Cortés qui en importa les premières graines et qui permit ainsi aux Autochtones d'apprendre à cultiver le chanvre. Très rapidement, les champs de cannabis se multiplièrent et recouvrirent l'Amérique Centrale.
Les plantes psychoactives n'étaient alors pas inconnues des Autochtones qui consommaient déjà des champignons, des peyotes, des datura innoxia ou encore une plante connue sous le nom de « petit tabac » (nicotiana rustica). Ils réservèrent donc au cannabis un accueil plus que chaleureux. Ils le consommaient à des fins récréatives, médicinales et rituelles. Au fil des années, le cannabis médicinal ne cessa de gagner en adeptes. Au XIXe siècle, il était utilisé pour traiter la gonorrhée, réguler le cycle menstruel et apaiser les douleurs musculaires et dentaires.
Mais son usage cultuel ne fut pas abandonné pour autant comme en attestent des récits comme celui que nous a laissé Guillermo Prieto en 1857. Il y évoque une communauté de San Juan del Río (État de Querétaro) qui avait pour tradition de consommer du cannabis lors des cérémonies de mariage. L'objectif était alors d'atteindre un état de transe qui aurait permis la divination et, par cet intermédiaire, aurait confirmé (ou infirmé) que l'union serait harmonieuse.
Le XXe siècle. Les débuts de la prohibition
Le cannabis se diffusa au Mexique à tel point que, au début du XXe siècle, on pouvait en trouver absolument partout. Durant la Révolution, entamée en 1910, la consommation de cannabis devint l'un des signes distinctifs des révoltés, un symbole par lequel ils clamaient leur appartenance à un camp, un symbole aujourd'hui encore présent dans la culture populaire à travers la chanson « La cucaracha ». Mais l'usage massif du cannabis au Mexique déplaisait alors fortement à son puissant voisin septentrional, le puritain pays de l'Oncle Sam. Là, le mot « marihuana » (ou « marijuana ») né au Mexique devint vite un terme stigmatisant, emblème de la prohibition. La faute à des politiciens malveillants qui profitèrent des peurs et angoisses d'une population socialement fragilisée.
En effet, au début du siècle, les immigrés mexicains avaient amené le cannabis avec eux aux États-Unis et les entrepreneurs américains, ravis de pouvoir exploiter cette main-d'œuvre bon marché, renvoyèrent leurs employés américains et les remplacèrent par des mexicains. Les tensions sociales qui naquirent de ces décisions crurent encore dans les années 1930 avec la Grande Dépression. C'est dans ce contexte social tendu qu'Harry J. Anslinger (commissaire du Bureau Fédéral des Narcotiques) lança une vaste campagne de criminalisation du cannabis, campagne qui mêlait subrepticement stigmatisation du cannabis et de la communauté mexicaine au travers du terme « marijuana ».
Il s'agissait alors de capitaliser sur la mauvaise image des immigrés mexicains alors accusés de tous les maux et de créer un lien dans l'esprit des gens entre ces populations présumément coupables d'activités illicites et la consommation de cannabis pour promouvoir les lois prohibitionnistes. La campagne de propagande rencontra un franc succès et permit la promulgation de la première loi de la prohibition en Californie, en 1913. De nombreux états américains suivirent alors le mouvement. Ensuite, sous la pression de ce si puissant voisin, le Mexique, lui aussi, interdit la production, la vente et l'usage récréatif du cannabis en 1920. Quelques années plus tard, en 1927, il interdit également son exportation.
Les années 1960. Hippies et War on Drugs
Comme précisé dans d'autres articles, durant les années 1960, le mouvement hippie s'empara du cannabis comme un symbole des revendications d'une jeunesse fatiguée de vivre sous une chappe de plomb puritaine. En quête de liberté, les hippies se servaient aussi de cette plante pour « s'ouvrir l'esprit ». La prohibition ne put entraver le mouvement et le cannabis se propagea auprès de la jeunesse nordaméricaine qui fumait alors du cannabis provenant du Mexique et de Colombie, des variétés landraces, des Sativas précoces en comparaison des génétiques colombiennes et thaïlandaises, des plantes nommées d'après le nom des régions dont elles étaient originaires (Chiapan, Guerreran, Nayarit, Michoacan, Oaxacan et Sinoalan), des variétés de grand gabarit qui produisaient des fleurs longues aux effets exclusivement psychoactifs faits pour séduire les hippies.
Bien qu'en 1961, les États-Unis et le Mexique avaient cosigné la Convention Unique sur les Stupéfiants, les tensions étaient vives sous la présidence de Lyndon Johnson, lequel accusait son homologue mexicain, Gustavo Dias Ordaz, de favoriser l'exportation de drogues (notamment de cannabis) vers les États-Unis. La diffusion toujours plus grande du cannabis auprès des jeunes nordaméricains conduisit, plus tard dans la décennie, son successeur, Richard Nixon, à durcir les mesures de contrôle à la frontière sud de son pays. En 1969, il lança donc l'opération Interception, laquelle consistait simplement en le contrôle, durant un maximum de trois minutes, de toutes les voitures qui rentraient aux États-Unis depuis le Mexique. Indignée de cette stigmatisation et des difficultés de circulation ainsi générées, la population mexicaine fulmina. Elle était pourtant loin de s'imaginer que l'escalade ne faisait que commencer, puisque deux ans plus tard, Nixon déclara la Guerre contre les Drogues avec pour objectif « d'en finir avec l'ennemi numéro un des États-Unis ». L'Oncle Sam intensifia donc ses efforts en vue d'empêcher l'entrée sur son territoire des fleurs de cannabis mexicaines et, en 1978, la DEA commença à détruire les champs de cannabis mexicains en y pulvérisant un puissant herbicide, le Paraquat.
De son côté, la culture du cannabis, qui avait toujours été une affaire de paysans, se vit investie par les cartels mexicains, formés grâce aux bénéfices générés par le trafic de cette plante. Les montagnes de la Sierra Madre occidentale devinrent rapidement l'épicentre de la culture du cannabis et cette zone, qui englobait les états de Chihuahua, Durango et Sinaloa, gagna le surnom de « triangle d'or ».
Les années 1980. Le premier cartel du Mexique
La prohibition et les mesures prises par le gouvernement américain n'ont pas empêché l'arrivée de drogues depuis le Mexique. En effet, durant les années 1980, le trafic ne fit que croitre et naquit une organisation qui allait changer pour longtemps le visage du Mexique, le cartel de Guadalajara. Jusque-là, la production et la distribution de cannabis et d'opium était aux mains de petites bandes dirigées par des potentats locaux. Miguel Ángel Félix Gallardo parvint à les réunir sous sa propre autorité. Se faisant appeler « le chef des chefs », il changea ainsi les règles du jeu, restructurant le monde du narcotrafic mexicain. L'union faisant la force, cette structure nouvelle plus grande et plus forte augmenta les capacités de production de cannabis et d'approvisionnement des États-Unis. Par la suite, le cartel de Guadalajara réussit même à s'établir comme intermédiaire entre les narcotrafiquants colombiens et les États-Unis, assurant les transferts de cocaïne des premiers vers les seconds.
La Direction Fédérale de la Sécurité au Mexique, l'agence chargée d'informer la CIA sur les narcotrafiquants mexicains, ne manqua pas d'aviser celle-ci des transformations en cours au Sud du Rio Grande. Ayant appris qu'il était surveillé par les États-Unis, Rafael Caro Quintero, la main droite de Miguel Ángel Félix Gallardo ordonna alors l'enlèvement et la séquestration de Kiki Camarena, un agent de la DEA, lequel fut torturé à mort. L'assassinat de Camarena annonçait le début de la fin pour le cartel de Guadalajara, mais aussi le commencement d'une aire de violence extrême et de terreur qui perdure encore aujourd'hui. Cette frénésie brutale qui a déjà emporté des milliers de vies n'a d'autre objectif que le contrôle de territoires, une ambition bien futile et dérisoire au vu du prix qu'il fait payer aux populations locales.
Il parait donc clair que les politiques prohibitionnistes en matière de stupéfiants, et en particulier de cannabis, n'ont pas permis de juguler l'usage de celui-ci. Que du contraire…
Les années 2000-2020. La lente marche vers la régularisation
Ces deux dernières décennies, la lutte contre le trafic de drogues n'a fait qu'augmenter les tensions dans le pays. Ont même vu le jour des groupes d'autodéfense, des milices formées de civils armés qui s'opposent aux cartels. Entre cartels, milices privées, police et armée (tous corrompus), la situation est devenue invivable dans ce pays marqué par une violence toujours plus exacerbée. Dans ce contexte, le monde politique se demande de plus en plus sérieusement si la production, la commercialisation et la consommation de cannabis ne doivent pas être encadrées par la législation plutôt que frontalement combattues. L'ex-président Vicente Fox avait, par exemple, férocement appuyé la guerre contre les drogues durant son mandat (2000-2006) avant de se prononcer, des années plus tard, en faveur de la régularisation, comme un moyen d'appauvrir les cartels et d'en diminuer la puissance. Son successeur à la tête du Mexique, Felipe Calderón a décriminalisé la possession de cannabis pour usage personnel en 2009 et, en 2017, l'usage médicinal et scientifique du cannabis reçu l'aval du gouvernement. À l'heure actuelle, la question de la dépénalisation de l'usage récréatif du cannabis est sur la table des décideurs politiques mexicains.
Ce changement de paradigme s'inscrit dans un contexte multifactoriel dont l'observation donne les clés de sa compréhension. Premièrement, la guerre contre les drogues s'est soldée par un échec manifeste : elle n'a pas engendré la réduction du trafic et a conduit à une période de violence extrême et de corruption endémique de tous les corps étatiques mexicains. Deuxièmement, le contexte international est à la dépénalisation du cannabis. Nombre d'états américains ont ainsi définitivement tourné la page de la prohibition et sont entrés de plein pied dans une période de pacification. Enfin, le cas d'une fillette mexicaine, Graciela Elizalde, a contribué à l'évolution des mentalités. Cette petite reçut l'autorisation d'un juge d'utiliser le cannabis médicinal pour traiter l'épilepsie dont elle souffrait, décision judiciaire qui mena à la promulgation de la loi de 2017. Cette sentence historique ouvrit la voie à la régularisation du cannabis, ce que nombre de Mexicains attendent depuis longtemps.
Des années seront encore nécessaires à la réparation des dégâts causés par des décennies de prohibition et de luttes aveugles contre une diffusion du cannabis que rien n'est parvenu à entraver. Mais le Mexique semble enfin avoir emprunté la voie de la normalisation et de la pacification, voie qui, espérons-le, mènera sa population à cette paix tant désirée.
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