- L’usage de la marijuana reste mal accepté dans la société antillaise traditionnelle. Si la consommation de rhum est valorisée et même socialement encouragée, les fumeurs trainent derrière eux une image sulfureuse de marginaux. Pourtant, l’herbe est largement consommée dans les DOM de la Caraïbe mais elle reste chère, de qualité inégale et suffisamment difficile à trouver pour inciter les véritables amateurs à entreprendre leur propre culture.
Pourtant, le mouvement rasta, parti de la Jamaïque dans la vague de l’épopée de Bob Marley a fortement déferlé sur la Martinique et la Guadeloupe, dans une moindre mesure sur la Guyane. Au début des années 1980, la voix de Bob Marley, le son du reggae ont envahi les hauts parleurs domiens dans un environnement où la vie ne saurait se passer d’un éternel fond sonore musical. Le look rasta s’est popularisé auprès de nombreux jeunes. Quelques communautés ont essaimé dans les zones rurales et les recoins de jungle de ces territoires aux reliefs volcaniques et escarpés. Mais les rastas vivent plus ou moins à la marge de la société, à l’instar d’un ordre monastique. La plupart d’entre eux sont agriculteurs et mène une vie plus ou moins autarcique et austère.
Pour mémoire, le mouvement rastafari s’est développé depuis les années 1930 à la Jamaïque. Religion, mode de vie d’inspiration monastique, idéologie ? Le débat reste ouvert. Historiquement, il s’est constitué autour de communautés ayant fui les bidonvilles de Kingston et l’exploitation colonialiste pour mener une vie pauvre mais digne, proche de la nature et empreinte d’une spiritualité postchrétienne. Les rastas utilisent l’herbe lors de cérémonies religieuses, pour se donner du courage lorsqu’ils travaillent la terre et dans bien d’autres occasions de la vie quotidienne, même si tous ne fument pas.
«l’herbe et la musique sont proches cousines… »
Bob Marley, bien qu’issu du monde rural n’était pas à proprement parler un rasta et il était loin de mener la vie « aïtal » prônée par les frères de la nation africaine. Néanmoins, sans lui et sa musique, sans son célèbre concert en Ethiopie, jamais le mouvement rasta n’aurait atteint à la notoriété mondiale qui est la sienne aujourd’hui. En effet, l’herbe et la musique sont proches cousines. D’abord parce que la musique et les percussions ont toujours joué un rôle important dans les cérémonies des rastas. Pour se faire une idée de cette ambiance, on peut écouter un morceau comme Rastaman Chant de Bob. De très nombreux musiciens de talent sont issus de leur communauté, y ont séjourné ou bien en sont proches à divers titres.
Pour un mouvement qui prétend retrouver les racines africaines de son peuple, la ganja aussi bien que le chant renvoient aux pratiques ancestrales des bush doctors et des chamanes africains qui le utilisaient pour entrer en contact avec les puissances supérieures. En cela, elle s’oppose à la canne à sucre et au rhum issu des plantations et de l’oppression colonialiste. Fumer est une pratique identitaire qui trouve parfaitement sa place dans le message tiers-mondiste, mystique et subversif du reggae.
Aujourd’hui, la culture de l’herbe vient d’être légalisée pour les communautés rasta jamaïcaines dont la tradition est restée très vivaces. Au-delà du folklore touristique et des clichés, il existe une filière cannabicole traditionnelle importante en Jamaïque, avec des breeders passionnés qui vivent par et pour l’herbe. L’ile compterait parmi les premières au classement mondial du nombre de fumeurs par habitant. C’est très certainement ici qu’on trouve les meilleures sativas de l’arc antillais : Lambsbread, Blue Mountain, Sugar Bush. La fraternité rasta a néanmoins essaimé à travers tout l’archipel et bien souvent, les gènes des meilleures souches passent avec les frères d’un territoire à l’autre.
«Marijuana et sensemilia sont des mots espagnols…»
Louis, jeune breeder martiniquais a fait le voyage jusqu’à la Jamaïque, vécu plusieurs semaines dans des communautés rurales où il a payé son écot en travaillant la terre. Il dit avoir énormément appris sur l’herbe, sur la nature, les plantes, la fumée au cours de cette expérience cannabique intense. Il a profité de son séjour pour rechercher des souches typiques qui se sont facilement adaptées à son retour en Martinique. D’après lui la meilleure herbe qu’on peut trouver aux Antilles est issue des souches jamaïcaine. Les Antilles sont proches aussi de l’Amérique latine et marijuana et sinsemilia sont des mots espagnols. Même les souches jamaïcaines doivent beaucoup aux terroirs latinos et amérindiens : Mexique, Colombie, Bolivie. Dans une ile, tout un tas de navigateurs accostent, les gènes circulent, se mélangent. Le peuple antillais est métissé et comme lui, la marijuana peut sans doute revendiquer aussi des origines africaines et indiennes.
La Martinique, point relais pour les trafics de cocaïne et d’opiacés, est très surveillée par l’administration des douanes. Pas question d’y développer des cultures d’envergure mais les reliefs insulaires escarpés fourmillent de recoins où il est facile de cultiver en guerrilla pour une consommation personnelle. L’herbe qui alimente les trafics de cité vient des iles voisines comme Saint-Vincent, Sainte-Lucie ou la Dominique Dans ces territoires voisins, l’herbe est totalement illégale et pourtant cultivée de façon relativement massive. Elle circule facilement entre les iles distantes d’une ou deux heures en canot. Sa qualité peut varier du tout au tout avec des ruptures d’approvisionnement périodiques. Quant au prix, il est comparable à ceux pratiqué en métropole : entre sept et dix Euros le gramme.
L’ile est proche de l’équateur et la durée du jour ne varie que peu. On peut planter toute l’année et les plants fleurissent à leur rythme après trois à six mois de croissance. Certaines sativas peuvent devenir très grandes, trois à quatre mètres et refleurissent pendant plusieurs mois. En général, les rastas ont peu de sympathie pour les industriels du tabac. Ils fument leur herbe pure, parfois coupée dans un peu de son feuillage. En Jamaïque, le chalice, une pipe de cérémonie en coco avec un large tuyau courbé, est très utilisé. Il permet d’inhaler une grande quantité de fumer en une bouffée. En Martinique et en Guadeloupe, à la campagne, les fumeurs utilisent parfois du cœur de balisier (une fleur tropicale) sommairement laminé et séché pour rouler leur joint.
Pour les rastas, la consommation de l’herbe et le chant sont liés aux pratiques spirituelles et à la prière.
Le groupe One drop interprète un plaidoyer pour la légalisation du cannabis en Jamaïque, finalement obtenue de haute lutte en août 2015.
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